J'avise un jeune homme et lui demande s'il peut emmener Cristina en barque, elle reviendra à la nage. La suite est géniale : il alerte d'autres femmes qui comprennent aussitôt la demande et embarquent Cristina pendant que je reste à terre. Visiblement ce n'est pas du tout son boulot à lui et je découvre peu a peu comment ces femmes mènent la barque au propre comme au figuré ! Arrive alors une femme à la voix grave. Elle chante des sutras au milieu d'éclats de rire et porte un drapeau bouddhiste. Nos regards se croisent, son charisme est perceptible à des kilomètres et finalement je saute dans la barque avec Cristina, notre capitaine féminine et cette femme, que je nommerai la chef du village.
Au sommet de l'île, nous assistons à la cérémonie des lubao : ces piles de pierres amoncelées en forme de pyramide et plantées de drapeaux bouddhistes à chaque entrée de village ou chaque sommet sont légion autour du lac Mosuo. La coutume veut qu'à chaque passage près d'un lubao ou malidui, les Mossuo en fassent 3 fois le tour en ajoutant une pierre et en lançant des grains de maïs. Nous sacrifions à la coutume sous l'oeil autoritaire de la chef.
Retour en barque pour moi pendant que Cristina file en tête dans une démonstration de nages. Éclats de rire des femmes Mosuo qui sont littéralement baba. Puis nous suivons la chef, toujours, qui nous emmène déjeuner chez elle. Sur le chemin, des femmes, presque que des femmes... un seul mot de la patronne suffit à rameuter le village, me semble t-il. Alors que notre hôte nous prépare un repas, son masque de chef (excusez la redondance, mais vraiment..) tombe. Nous croisons un fantôme d'homme, qui s'éclipse aussitôt et je replonge dans mes pensées sur le royaume Mossuo...
De même que les Naxi et la plupart des ethnies tibeto-birmanes, les Mosuo descendent des anciennes tribus Qiang. Regroupés au sud du Sichuan et au nord du Yunan près de Ninglang, ils sont près de 30 000 et composent une des dernières sociétés matriarcales de la planète. La plupart vivent sur les rives du Lac Lugu, au pied de la Montagne Lion qu'ils appellent Ganmu, montagne déesse.
La chef de famille est choisie parmi les meilleures soeurs compétentes. C'est elle qui s'occupe de la propriété et des revenus de la famille. L'oncle maternel s'occupe des cérémonies religieuses, des funérailles et des enfants de... ses soeurs.
Le chapelet et le moulin à prières de la religion Mosuo
Les enfants vivent tous chez leur mère qui est la chef de famille.
La femme est la principale force de travail et tous les travaux pénibles lui sont dévolus. Le chef du village est bien sûr une femme, elle seule peut avoir droit de succession.
Les hommes, quant à eux, se consacrent au commerce, à l'artisanat et aux rituels religieux. Une pièce commune leur est réservée dans la maison.
De toutes les traditions Mosuo, celle du "mariage ambulant" a fait le tour du monde. Les femmes ne se marient jamais ni ne cohabitent avec un homme, mais peuvent choisir autant d'amants qu'elles le souhaitent au cours de leur vie. Dès la puberté, les jeunes filles ont une chambre réservée dans la maison ou elles accueillent la nuit leur "azhu", celui-ci devant quitter les lieux à l'aurore pour rejoindre la maison de sa mère !
Si un enfant naît, le père peut s'installer dans la maison et apporte alors son aide financière. S'il y a rupture, aide et devoir familial s'interrompent également.
Autrefois l'identité du père était ignorée, de même qu'il n'existait pas de mot dans la langue Mosuo pour dire "père".
Mais les conséquences néfastes sur cette culture arrivent à grand pas : cette notion d'amour libre a accru de façon considérable la popularité de cette région reculée aux confins du Yunan et du Sichuan. Mariage ambulant étant synonyme d'aventure d'un soir pour nombre de touristes Han, des maisons de passe naissent aux portes de Luoshui.
Vous dire exactement si ces traditions perdurent telles quelles est impossible, j'ai passé 4 jours au bord du lac Lugu dont 2 à comater! Une chose est sûre, les femmes tiennent le haut du pavé. Première fois (d'autres viendront..) que je vois des femmes fumer et boire, activités(?!) hautement réservées aux hommes ailleurs...
Durant ces 4 heures passées à Dazui (qui porte bien son nom : grande bouche...), nous ne cesserons de nous demander avec Cristina si cette femme se joue des touristes que nous sommes... de toute évidence, elle prend plaisir à nous faire partager sa culture mais la lueur que je perçois parfois dans son regard, me fait dire qu'il y a autre chose... mais quoi ?
Le reste de l'après-midi est un vrai bonheur : nous empruntons des sentiers au milieu des pins, tombons sur 2 familles isolées au bord du lac. Cristina fait hurler les enfants de peur et de plaisir par sa taille et ses cris d'hurluberlu. Pendant que nous nous bidonnons de rire avec la maîtresse de maison. Une ex-championne olympique américaine, latino de surcroît, c'est quelque chose !
Après une soixantaine de kilomètres, nous rentrons à la tombée de la nuit, le c... en compote pour ma nouvelle amie et une chute dans le fossé pour moi.